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Matchmaking in Ancien Régime France

17 June 2019

This exchange of letters has been published – but in an obscure journal which has hitherto been completely overlooked. I won’t at this stage name the participants as it spoils the story, but I haven’t changed anything else. Suffice it to say that the fate of a major picture collection depends on the outcome.

An undated (evidently some time in 1788) letter from a lady, Mme R, to Monsieur X, an unmarried 62-year-old retired soldier living in a town in Northern France, concerning Mme D.:

C’est uniquement, Monsieur, par reconnaissance de la conversation que nous avons eue ensemble quand j’ai eu l’honneur de vous voir, que je me suis permis de parler à M. le chevalier de B*** d’une demoiselle qui me paraît réunir tout ce que vous m’avez paru désirer dans une compagne, et que je connais assez pour être persuadé qu’elle ferait votre bonheur. M. le chevalier de B*** ne vous a sûrement pas laissé ignorer qu’il s’agissait d’une personne de 40 à 48 ans, parfaitement bien élevée, laborieuse, accoutumée aux soins du ménage et aussi recommendable par les qualités du cœur que par les agréments de l’esprit. Je ne vous parle point de sa figure: vous êtes sûrement, Monsieur, au-dessus de cette considération: tout ce que je vous en dirai c’est qu’elle est grande, bien faite, qu’elle a de belles dents, de beaux yeux et de superbes cheveux noirs; c’est à tort, Monsieur, que vous vous effrayés de ce qu’elle est née Demoiselle. Sa sœur n’en a pas moins épousé un simple particulier, revêtu d’une charge honnête, qui n’a pas comme vous, Monsieur, l’avantage d’avoir servi et d’être décoré de la Croix de Saint Louis; et cette union n’en a pas moins été constamment heureuse et paisible depuis plus de douze ans, malgré les revers qui ont diminués la fortune du mari, épreuve délicate, comme vous savez, Monsieur, et à laquelle ne tiennent pas beaucoup d’hommes mêmes, quoique très recommandables d’ailleurs. Mon amie qui a toujours vécu avec son beau-frère et sa sœur depuis leur mariage, a peut être encore plus de cette bonhomie si désirable dans le commerce de l’intime amitié; et bien loin de se prévaloir du hazard de sa naissance, je lui ai toujours trouvé plus de franchise dans l’expression de ses sentiments, plus de simplicité dans les manières que n’en ont certaines femmes, de ce qu’on appelle l’honnête bourgeoisie.

Quelle que soit cependant, Monsieur, ma prédilection et mon attachement sincère pour cette demoiselle, je suis fort éloignée de vouloir employer vis-à-vis de vous aucun genre de séduction. Je vois en elle du côté du personnel tout ce qui peut vous convenir; du côté de la fortune, un peu plus même que vous ne m’aviez paru exiger, car vous m’avez paru souhaiter seulement qu’une femme eut assés de quoi pourvoir à son entretien, et je crois que mon amie auroit encore quelque chose de reste, cette clause remplie. L’occasion me paraît donc telle que vous la désiriés; et si vous n’êtes arrêté que par la considération de sa naissance, j’ose vous répondre que, gentilhomme ou non, vous lui serés toujours très cher si vous savés d’ailleurs la rendre heureuse, et que son caractère vous y fera trouver autant de facilité que de plaisir.

Je ne consulte pas moins, Monsieur, dans cette explication l’intérêt de votre bonheur que celui d’assurer un sort tranquille à une amie véritablement estimable et méritante à tous égards. Je me serais reprochée de vous laisser des craintes que sa façon de penser ne justiffiera jamais. Je n’irai pas plus loin, Monsieur, et contente d’avoir fait ce que je croyais devoir à la vérité autant qu’à l’amitié, je me bornerai maintenant à vous prier de croire à la sincérité des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

R.

J’ai oublié de vous observer que tout séjour, à Paris, rue ***, en province et même à la campagne, serait parfaitement égal à la personne en question.

What follows appears to be an enclosure to a lost letter from X to an unnamed friend (in my 19th century source it is printed in a completely incorrect location, attached to a much later letter), while the second and third paragraphs are presumably transcribed from a letter X has received from a very close friend:

Je n’ai pas cru devoir insérer dans ma lettre la réponse que l’on a faite à mon amy. La voicy mot pour mot:

Au reçu de ta lettre, mon cher ami, je n’ai eu rien de plus pressé que d’aller à R*** pour y prendre les informations concernant Madame *** quoique je la connoisse depuis longtems, je n’ai pas voulu m’en rapporter à moy seul, et j’ai consulté quelqu’un dont je suis sur, pour avoir les renseignemens que tu désire, et tu peux compter sur ce que tu va dire.

Madame D*** a 33 ou 34 ans au plus, et non 40 comme tu me le mandes, elle est grande, assez bien de figure, mais elle est rien moins que saine, elle est d’une laiderie dont rien n’approche. La crainte de brûler quelques bouts de chandelles l’a concentrée chez elle, et elle est femme à proposer à des amies, qui viennent la voir le soir, de les éteindre, parce que l’on peut bien s’entretenir sans se voir. On dit qu’elle pleure continuellement son premier mary; note bien cecy, paraport aux risques que l’on court. Tu dois m’entendre. Quant à sa fortune, on ne sçait pas au juste ce qu’elle a; cependant on lui croit mille écus de rente; et après la mort de Mme sa mère, qui est infirme, elle pourra jouïr de 4,500 fr.

Mon amy vient d’écrire au sien pour sçavoir au juste ce qu’il entend: par-elle est rien moins que saine. Je vous avoüe, Monsieur, que cette phrase m’a fort inquiété. Je jouïs de la meilleure santé, je n’ai jamais fait aucune maladie, exceptée la petite vérole; il seroit bien facheuex pour moi d’être uni à une personne, dont la mauvaise santé me feroit passer le reste de mes jours dans des inquiétudes continuelles. Je compte assés sur vôtre honnêteté, et sur votre véracité pour espérer que vous voudrés bien me dire ce qui en est; ainsi que de la ladrerie dont on l’accuse. Le défaut de santé est un malheur, mais l’avarice est un vice qui fait le malheur, non de l’avare, mais de ceux qui sont obligés de vivre avec lui. La franchise avec laquelle j’ai l’honneur de vous écrire doit vous prouver combine je suis incapable de tromper personne, mais aussi combien je serois faché de l’être.

23 novembre 1788 — A letter from X, to an unnamed friend:

Je te remercie bien sincèrement, mon cher et ancien camarade, des informations que tu as fait prendre; mais je trouve qu’il y a bien à rabattre de ce que tu m’as dit de l’âge et de la fortune de la personne en question. Monsieur ton parent te mande qu’elle n’a que 36 ans, au lieu de 40 ou 45 ans que j’aurois désiré, et 2,400 fr. de rentes, au lieu de 4 à 5,000 fr. que tu lui croyois. Ce dernier article, le plus important et le plus essentiel pour bien des personnes, ne l’est pas pour moi. La trop grande disproportion d’âge est tout ce que je redoute de plus. Quoiqu’ordinairement une femme à 36 ans ne soit plus dans l’âge d’inspirer une grande passion, elle n’en a pas moins les prétentions; et, comme elle est dans la force du tempérament, elle n’en est que plus exigeante; et à 63 ans, un homme est peu propre à inspirer du goût et à satisfaire et remplir ses désirs: alors, la jalousie et la mauvaise humeur se mettent dans le ménage, et l’on fait réciproquement son malheur. D’ailleurs, dans le compte que te rend M. ton parent, il n’est pas question du caractère, et de la manière qu’elle a vécu avec son premier mary, non plus que de la conduitte actuelle. Quoique d’après tout ce que tu m’en a dis, je doive la croire très honnête, on ne saurait trop prendre d’informations sur ces trois objets, puisqu’ils sont et doivent être la base de l’estime, ou du mépris que l’on a l’un pour l’autre, lorsque l’on est obligé de vivre ensemble.

Je te prie, au reçû de ma lettre, d’engager M. ton parent de te mander ce qui en est, et d’après sa réponse, j’aurai l’honneur de l’aller voir et de le remercier des peines que je lui occasionne. Pour éviter les longueurs qui sont toujours désagréables en pareil cas, je crois qu’il pouroit m’adresser directement sa réponse. Surtout prie-le bien instamment de ne point me nommer que je n’ai sçu à quoi m’en tenir, et que je n’ai vu la personne. Si après cela, elle me convient, et que de son côté elle se décide à former un second engagement, alors je me ferai connoître et lui donnerai tous les moyens, pour prendre des renseignements les plus certains sur ma conduit, mon âge, mes mœurs et ma fortune, dont tu auras sans doute parlé à M. ton parent, à qui je te prie de faire agréer les assurances de ma sincère reconnaissance. Sois persuadé de celle que j’aurois toujours pour l’intérêt que tu prends à ce qui me regard, ainsi que du parfait attachement, avec lequel je suis ton sincere et véritable ami,

X.

Je compte sur ce que tu m’as dit que la dame est veuve sans enfants, car autrement il ne faudrait pas faire de démarches. Je ne veux pas avoir les embarrass ny les inquiétudes, qui en sont les suites.

23 janvier 1789 — Letter from X to Mme D:

Madame

Je me suis fait une loy d’être franc et sincère. Si j’ai le bonheur de vous être uni, j’ose me flatter que vous reconnoîtrez de plus en plus que je m’en écarterai jamais. Je dois donc vous avoûer que l’impression que m’a laissé notre entrevue, m’a fait douter quelques instants si j’avais eu raison de vous montrer la fermeté qui vous a étonnée. Plus je me livrois à ma sensibilité, plus mon doute augmentoit; mais aussi vous confesserai-je avec la même franchise que, plus j’ai senti l’obstacle, plus j’ai vu la nécessité de me vaincre, de réfléchir et de me juger. Rendu à moi-même, j’ai dû peser scrupuleusement ce que je vous devois et la suite d’un engagement aussi important pour votre bonheur et le mien. J’ai reconnu, Madame, que ce bonheur mutuel ne peut vrayment exister, sans se dépouiller respectivement, des affections qui lui sont étrangères. Vous conviendrez, j’ose l’espérer, que ce bonheur dépend absolument d’une union sans partage. Il exige entièrement le sacrifice de tout ce qui pouroit y porter le moindre mélange. Je vais plus loin, et dès que ce sacrifice doit même cesser de l’être, dès lors que la raison le prescrit. Je n’en voudrois d’autre témoignage que celui de Mme la marquise de L, qui paroit avoir pour vous la plus tendre amitié. Aussi suis-je toujours persuadé que ce sacrifice, si c’en est un pour le moment, doit non-seulement s’étendre sur le gage que vous aviez pris d’un souvenir qui vous est cher, mais encore sur le portrait qui ne paroit que trop l’entretenir. Je me trouve donc confirmé plus que jamais dans cette nécessité absolue.

Ecartons, je vous prie, Madame, ces ombres, ces nuages, dont on couvre trop souvent le flambeau de l’hymen. Là où est la raison, ces idées d’illusion, si fatales à l’union conjugale, ne peuvent se rencontrer. Cette tendre union ne présente qu’un tout de deux parties: et cet heureux assemblage, si propre à ses douceurs et à ces charmes, ne peut certainement former une unité parfaitte, qu’autant que chacun se livre tout entier à l’autre. Telle est l’image que je me fais, et me suis fait du mariage, et à laquelle je sens que je dois absolument m’attacher. Puissent ces réflexions être assez persuasives pour vous y fixer de même. Si vous m’en donnez l’assurance, la noblesse de vos sentiments m’en sera votre garant: mon âme s’y confiera pleinement, et j’en prévois déjà d’avance la plus heureuse augure. Permettez-moi de compter assez sur moi-même pour la réaliser. Puissé-je jurer une foy inviolable en recevant la vôtre: et vous convaincre du respectueux dévouement avec lequel je suis et ne cesse d’être, Mme, V. S.

D.

30 janvier 1789 — Response to X from Mme D:

J’ai lu avec beaucoup d’attention, Monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de mécrire. Je vois clair comme le jour que vous craingnés que le petit être qui fait l’objet de votre discussion ne soit un obstacle à l’attachement que je dois avoir pour vous. Vous ne connoissés pas mon cœur, ni l’honnêteté de mes sentimens. Soyez-bien persuadé que si je n’avois pas l’espoir que vos procédés feroient naitre dans mon cœur un attachement sincère, je n’aurois jamais pensé à former un second engagement, parce que je sens qu’il est impossible de pouvoir être heureux, qu’autant que l’on a l’un pour l’autre la plus tendre et la plus sincère amitié. J’ai connu ce bonheur, et c’est dans l’espérance que j’ai eu de le voir renaître, que j’ai consenti aux propositions qui m’ont été faites de vôtre part. Ce n’est cependant qu’après avoir eu la certitude que je trouverois aussi dans l’honnêteté de vos sentimens tout ce qui pouvoit faire le bonheur d’une femme honnête et raisonnable. Mais comme il faut prononcer sur l’article qui tient au cœur, et moi aussy, et qu’il faut se décider d’une manière ou d’autre; je vais vous dire tout naturellement mes intentions à cet égard, et vous dirés à M. de F si cela vous convient ou non. Je désire ne jamais abandonner l’enfant dont je me suis chargé. Son père ne l’a accordé qu’à mes sollicitations réitérées, et parce que sa mère n’avait pas pour cette enfant la tendresse qu’elle avoit pour les autres, quoique cette petite créature soit d’un caractère tout à fait aimable. D’après cela, en me chargeant de cette petite, je lui ai jurée, dans mon cœur, amitié et protection; et je sens que je ne puis me détacher de l’une et lui refuser l’autre. Je vous avois proposé un accommodement sur cela: c’était de la mettre dans une petite pension de cette ville ou des environs; vous avès eu l’air d’abord d’y acquiescer, et, par une réflexion qui a été défavorable à l’honnêteté de mes sentimens, vous avés mis, dans votre refus, une fermeté qui, je vous l’avoue, m’a étonnée, et je vous dirai même plus, qui m’a effrayée. Vous avez fait sur cet objet beaucoup de réflexions; j’en a fait aussi beaucoup de mon côté;  j’en sondé mon cœur, et j’ai trouvé que cet espèce d’attachement ne pouvoit avoir aucun rapport, ni être mis en comparaison à celui qu’un mary et une femme doivent avoir l’un pour l’autre. Voilà, Monsieur, mes sentimens; vous voudrès bien dire à M. de F qui doit aller à [***] dans la semaine prochaine, si vous les adoptés ou si vous les refusés, il m’en fera part à son retour. Soyés, je vous prie, persuadé, Monsieur, de toute la sincérité de mes sentimens, et de ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être

D.

5 février 1789 — Response from X to Mme D:

Madame,

Aussi flatté qu’ému de la réponse dont vous m’avez honnoré, que de réflexions ne m’a-t-il pas fallu faire pour ramener au vrai principe les raisons que vous avés eu le talent de si bien faire valoir? Je l’ai lue et relue plusieurs fois, et ne peux vous rendre et le plaisir et la peine qu’elle m’a faite. Icy une âme honnêtte et sensible se développe avec toute l’énergie qui lui est propre; là les obligations qu’elle croit avoir contractées semble devoir prépondérer sur toute autre; ou du moins, elle en est si remplie qu’elle ne voit pas qu’il est impossible de les allier, que ne puis-je avoir l’art de vous persuader! Je ne dois au moins rien négliger pour y parvenir. A ne considérer, Madame, l’attachement qui nous divise, abstraction de toute circonstances, sans doute ce pur effet de l’humanité n’auroit rien de contraire à un attachement, dont les causes et les vues sont si différentes; mais m’est-il possible de juger du vôtre sous ce seul rapport? C’est ce que je vous prie de bien peser. Cette innocente créature qui vous fixe, n’a pu tant vous fixer par ce seul sentiment. Il est noble, il est louable sans doute, mais il faut y voir nécessairement d’autres causes; et ces causes peuvent-elles m’être indifférentes. Plus elles peuvent servir à augmenter ou entretenir le degré de sensibilité qui vous y attache, plus je dois envisager les dangers qui peuvent en naître. Je ne m’arrêterai pas à la nécessité où est une veuve de se détacher absolument et pleinement de toutes les impressions, que son premier mary a pu lui laisser: une seconde union, pour être pure et parfaitte ne souffre pas de partage. Vôtre silence fera cette vérité me convaincre de toute sa force. Je parlerai encore moins de l’effet de l’amour propre qu’il ne m’est pas permis de faire valoir. Il est plus naturel de tenir à cet instant à l’amitié, qui vous occupe qu’à celle que j’ai fait naître. J’ai donc à vous démontrer la juste crainte que j’ai à concevoir.

Vous désirés, Madame, de jouir du bonheur que vous avés eu dans vôtre premier engagement; c’est ce que je cherche, et qui fait mon unique veu. Mais vous faut-il plus que vôtre expérience pour convenir que ce bonheur ne peut être pur et durable, si l’on névite pas tout ce qui peut en troubler et en altérer la source. Il ne peut exister, très certainement qu’autant que les deux cœurs ont les mêmes affections, et les mêmes sentimens. Pour entretenir cette unité si essentielle, il faut nécessairement que les impressions de l’un deviennent celles de l’autre. Appliquons ces principes: il faut donc que vôtre attachement devienne le mien; car nous ne devons pas seulement aimer pour nous-mêmes, nous devons encore mieux aimer tout ce qui flatte la personne que nous aimons.

Or, permettez-moy, Madame, de vous demander s’il serait raisonnable d’exiger de moi le même attachement qui vous tient tant à cœur, en ce moment. En supposant que l’habitude de voir ce qui vous seroit cher pût me faire naître le même sentiment, ne dois-je pas craindre le contraire! L’intérêt que j’aurais à vous faire perdre entièrement le souvenir que vous m’avés tant montré pour la mémoire de M. votre mary, ne seroit-il pas un obstacle? et même ne doit-il pas l’être? si je ne puis prendre ce sentiment; si même je ne le dois pas, je serais donc au moins indifférent à un objet qui loin de vous l’être, vous affectera plus vivement. Hé quoy! je vous verrois affectée, et loin de trouver des raisons pour vous complaire, j’en aurois au contraire pour n’y pas condescendre. C’est là positivement le trouble et la diversité de sentimens que j’ai si grand intérêt de prévenir. C’est la pomme de discorde, que je dois éloigner de chez moy. Plus nous paroissons sensible l’un et l’autre, moins nous devons admettre ce qui peut devenir un sujet et une source de chagrins et de peines.

Telles sont, Madame, les nouvelles réfléxions que j’ai cru propres à détruire les vôtres. Puissent-elles être assés convaincantes pour vous déterminer à ce qui m’est si important d’obtenir; c’est-à-dire de renvoyer la petite dans sa famille, à qui je consens que vous fassiés du bien, et à laisser dans le sein de la vôtre le portrait de M. votre mary, que je ne peux recevoir, chez moy, sans risque. Si vous me refusés ces deux sacrifices, auxquels sont attachés le bonheur ou le malheur de ma vie; je suis forcé de voir cet évênement et cette fatalité dans les décrets de la providence. Je n’en conserverais pas moins pour vous, Madame, l’estime que vous m’avés inspirée; et ne m’étant plus permis d’y joindre des sentimens plus tendres, je me borne à vous assurer dans toutes les occasions et dans tous les instants de ma vie, du profond respect avec lequel je suis

X

10 février 1789 — Response to X from Mme D:

J’ai bien tardé, Monsieur de répondre à la dernière lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire; je vais le faire avec toute la franchise qui fait le fond de mon caractère. Je conviens que, d’après vôtre manière d’envisager les objets qui nous divisent, il est tout naturel que vous cherchiés à éloigner tous les obstacles que vous croyés devoir troubler vôtre bonheur; et tous les argumens que vous employés pour me convaincre seroient bien faits pour me persuader. J’avois aussi cédé en partie à vos désirs, puisque je vous avois proposé de mettre cet enfant en pension, c’étoit l’éloigner de chez vous, permettés moy de vous rappeler encore que vous étiés au moment d’y consentir; mais une réfléxion désavantageuse à mes sentimens vous a fait revenir sur cet article: je dis désavantageux : parce que, persuadée comme je le suis de la pureté de mes intentions, je n’avais pas voulu apporter chés vous aucun sujet de discorde. Seroit-il possible d’imaginer que j’ai pu consentir à former un second engagement, si je n’avois été dans la ferme résolution de contribuer de tout mon pouvoir au bonheur de celui à qui je me serois unie! et ce seroit être ennemie du mien si j’avois crüe y apporter volontairement des obstacles: car il est dans ma manière de penser de ne pouvoir être heureux, si je n’ai pas un véritable attachement pour la personne avec laquelle je serois destinée à passer ma vie.

D’après cela je n’ai pas imaginé qu’un enfant que j’avois pris auprès de moy pour me distraire et m’occuper, et qui m’a inspiré de l’intérêt et de l’amitié, put jamais être un obstacle à un attachement qui doit être de beaucoup au-dessus de celui que j’ai pour elle. Je suis si persuadé de la sincérité de mes sentimens sur cet article que cela me fait persister dans la résolution que j’ai prise de ne point renvoyer cette enfant à ses parents, et de m’intéresser toujours à son sort. Je lui dois ce tendre intérêt, et je dois aussi beaucoup à ses parents pour la marque de confiance et d’amitié qu’ils m’ont donnée. Voilà, Monsieur, mes intentions sur cet article, et je ne me permettrés jamais de prononcer et d’agir différemment. Quant à celui du portrait de l’homme estimable que j’ai perdu, il m’est encore dur d’avoir à discuter cet objet; mais puisque vous désirés que je vous parle avec franchise, je vous dirai que je ne veux point laisser à ma famille cette image: ils n’ont pas assés accordé à sa mémoire pour croire qu’ils en fassent grand cas, et d’ailleurs le public seroit instruit de cela, et ce seroit un ridicule que je me donnerois, et qu’à coup sûr je ne mériterois pas: mais il auroit été une manierre d’arranger cet article à vôtre gré et au mien.

Je regrette beaucoup de n’avoir pas prévu toutes ces difficultés: je vous aurois épargné, Monsieur, et à moy aussi, la peine de les discuter; mais j’en suis dédomagée par l’avantage que j’ai de vous connoître, et de vous assurer des sentimens avec lesquels j’ai l’honneur d’être

D.

17 février 1789 — Letter from X to M. de F:

Sensible à tous vos bons offices, et vos honnêtetés, c’est moy qui doit vous témoigner la plus vive reconnaissance. Je verrai toujours naître, avec intérêt, les occasions qui pourront me venger.

Mme D m’a bien honoré de sa réponse. J’en suis affecté. La naïveté de ses impressions, le charme qu’elle sçait y répandre, tout, en elle, me pénétre délicieusement, et m’auroit entraîné, si mes raisons ne m’avoient pas paru devoir prépondérer.

Chacun a droit à son opinion: la nôtre, quoique différente, est peut être admissible de part et d’autre, il n’en résulte pas moins une discordance de vües, dont l’idée seule doit m’effrayer et m’arrêter.

Que nous étions bien éloignés de cette unité de sentimens que je recherchois, et dont je me faisois, d’après notre existence, une si gracieuse image! si nous n’avons pu nous accorder dès le premier pas, quelle crainte cette circonstance ne doit-elle pas m’inspirer!

Je suis trop jaloux de son bonheur, et de ma tranquillité pour rien hazarder qui puisse y porter le moindre trouble. Je vois donc l’impossibilité de nôtre union. Par quelle fatalité faut-il que celle, dont les qualités extérieures avoient fait sur moy une si douce impression, ne puisse faire son bonheur avec moy par la diversité de nos manierres de penser. J’en ai tous les regrêts possibles.

Je vous prie, Monsieur, de les lui rendre avec cette énergie dont vous êtes capable; vous ne pouvés jamais excéder la vérité.

J’aurois eu l’honneur de vous écrire plustôt, si je n’avois compté avoir un entretien avec M. M., ainsi que vous me l’avés annoncé. Je ne l’ai pas vu. Sans doute que ses affaires ne lui auront pas permis de venir icy. Permettés que Mme votre épouse trouve icy les assurances de mon profond respect, et soyés persuadé des sentimens sincères et distingués avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissante serviteur,

X

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4 Comments
  1. Alastair Laing permalink

    What a wonderful exchange of letters ! But I’m quite incapable of guessing who the protagonists might have been, or how the fate of a major picture collection could hang on something that did not come to pass.

  2. Bien étrange devinette ! Et quel échange cartésien ! Of course, thinking of an artist’s widow. Not of the nobility, but like Manon Roland, “in the circle of “. Thought of her, but she had a daughter Eudora with Roland and she was not a widow… In the circle of Carmontel ? Of which I have had the privilege of seing three wonderful “rouleaux” … Very tantalising.

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